Pour le moment, je suis en train d’écrire l’histoire de l’association Asmae. J’ai pris cet objectif à bras le corps. Dans le même temps je redécouvre dans les archives des recherches-actions qui ont été menées dans le cadre des appuis à différentes associations dans des pays comme Djibouti. Minuscule pays avec plus de 500.000 habitants a vu notre soutien notamment à l’association Caritas.

La recherche-action a été menée par un animateur djiboutiens qui avait reçu une formation au Caire en décembre 1995. Asmae connaissait la recherche-action depuis janvier 1993 ayant reçu une formation à Kigali (Rwanda) de la part de René Sibomana. L’article est paru dans la revue trimestrielle « Passerelles » n°21 du mois de mai 1996 :

Une recherche-action à Hayableh !

« De tous les animateurs, Damien de Walque et Idriss Mohammed, suivie par Neima Ali Osman, ont été le plus loin dans la réalisation d’une RAP avec une association de santé du quartier de Hayableh. Cette Association est née suite à la demande de Médecins Sans Frontières (MSF) en vue de connaître les besoins de santé du quartier. Ces jeunes sans emploi ont reçu une petite formation de cette organisation. Dès que cette dernière a quitté le dispensaire, les médecins locaux ont renvoyé les jeunes dans leur foyer.

Déçus du peu d’importance donné à leur travail, mais forts de cette nouvelle fonction: « agent de santé », ils se sont rendu compte qu’ils pouvaient aussi participer à’ l’amélioration de la santé en conscientisant la population à une meilleure hygiène. Ils ont formé ainsi cette Association regroupant les agents de santé de Hayableh.

Ces jeunes ont fait une demande à Caritas Djibouti pour recevoir une aide. Toute les demandes sont toujours d’ordre financier. comme si l’argent allait toujours résoudre tout. Damien et Idriss ont proposé qu’ils fassent eux-mêmes une recherche-action Participative, en précisant bien qu’il n’y avait pas d’argent à la clé. Après une phase de négociation entre Damien et Idriss. d’une part, et les agents de santé, d’autre part, la RAP proprement dite a pu commencer.

La démarche a commencé par une collecte de données que les jeunes ont pu glaner dans le quartier. Ils ont visité le marché avec tous les types de produits vendus y compris le khat, les possibilités de loisirs, certaines maisons très pauvres, l’école coranique, le centre de santé. Ils ont aussi énoncé les endroits qu’ils fréquentaient en tant qu’agent de santé : les maisons, les dispensaires, les ministères, avec des possibilités de loisirs, comme les cartes, la pétanque, la vidéo, …

Ces jeunes ont observé les systèmes d’approvisionnement en eau et en électricité, Ils ont constaté que les organisations internationales et le gouvernement s’étaient engagés à développer certaines activités, Rien n’est fait à ce jour. Ils ont aussi fait un compte-rendu de leurs actions et de leurs projets, en constatant que certaines familles ne voulaient pas entendre parler de leur présence, tandis que d’autres l’acceptaient. Ils se sont, petit à petit, fait accepter par la population,

Cette collecte d’informations a duré trois jours sur le terrain, Ils en ont tiré la liste de leurs besoins et la liste de leurs problèmes, En fait, il faut bien faire la distinction entre besoin et problème, Ainsi, si un enfant est malade, on va lui donner un médicament selon les symptômes, On résoudra un besoin immédiat. On ne s’est pas attaqué à la racine du mal qui est le manque d’hygiène dans la maison, Une sensibilisation de la famille est une solution au problème,

Les jeunes agents de santé ont déterminé ainsi sept problèmes: le paludisme, les diarrhées, les femmes enceintes, la formation, le manque d’argent, la démoralisation et le manque d’aide extérieure, De ces sept problèmes, ils ont, à travers une discussion, donné la priorité au dernier cité: ce manque de soutien des organismes internationaux et des ministères.

Analyse des causes du problème

Il faut tout d’abord déterminer les causes du problème, Après une discussion, les jeunes ont sorti une liste de cinq causes: sentiment de supériorité des organismes internationaux et des ministères; l’Association est en position de demandeur (donc d’inférieur) par rapport à ces organismes; leur association n’est pas légalisée; le dispensaire ne joue pas bien son rôle d’intermédiaire; les jeunes ont un manque de formation,

Les jeunes ont alors réalisé l’analyse des causes du problème, Ainsi, ils ont recherché les relations existant entre les différentes causes, C’est le moment où ils se sont posé des questions comme « quelle cause engendre telle autre cause? Qu’est-ce qui entraîne quoi? Est-ce qu’une cause est la source d’une autre canse? Ils ont ensuite cherché la cause principale en se posant la question : combien de variables chaque cause a-t-elle entraînées ? Il faut reprendre les racines qui entrainent le plus de causes du problème, De même, il est important de savoir si ces causes ont une origine économique. socioculturelle ou politique, Pour préciser la cause principale au mieux, il faut encore se poser trois questions fondamentales: les jeunes peuvent-ils agir sur ce problème? Chez combien de jeunes ce problème est déterminant? Est-ce que la résolution de ce problème aura des effets sur les autres problèmes ?

C’est suite à une longue discussion que les jeunes ont déterminé que c’était la variable « manque de formation » qui était la plus déterminante pour une reconnaissance plus rapide du ministère ou du dispensaire, pour une amélioration de leur statut d’agent de santé, Une fois que la variable sur laquelle les jeunes décident de travailler, est fixée, il faut pouvoir définir exactement l’action qui découle de la recherche, Les jeunes ont formulé ainsi l’action en deux temps: recherche de toutes les formations accessibles à Djibouti et formation effective de chacun en fonction de ses desiderata,

Avant de se lancer, les jeunes agents de santé ont planifié l’action en fonction des différents moyens qu’ils avaient à leur disposition : moyens matériels (cahiers, stylos, feuilles blanches, règles, colle, crayons, gommes), moyens humains (présence d’Idriss, de Damien ou de Neima, en fonction de leur disponibilité), moyens financiers (les jeunes ont décidé de se cotiser pour payer les frais de transport),

Lors de la première évaluation, les jeunes se sont exprimés ainsi: UA la première rencontre, on pensait vraiment que Damien et Idriss allaient nous donner de l’argent pour résoudre nos problèmes, mais on a compris au bout d’un certain temps que c’était une aide au niveau de la réflexion pour mieux nous organiser. Nous avons découvert, grâce aux collectes de données, les vrais problèmes de notre quartiers, ce qui a permis d’échanger beaucoup d’idées et de réflexions, C’est la première fois qu’une telle réunion avait pour but de débattre des réels problèmes, Chacun a réalisé que nous pouvions nous faire confiance mutuellement »,

L’action doit être menée jusqu’au bout pour que la RAP aboutisse, Une évaluation finale sera faite plus tard, En attendant, voilà un groupe qui était persuadé que seul l’argent pouvait résoudre tous les problèmes, Grâce à cette approche, les jeunes ont découvert que c’était eux, les acteurs de leur propre changement.

Si nous avons voulu vous rendre compte cet exemple pratique, c’est pour vous montrer combien la recherche-action participative est un outil intéressant pour que les personnes se prennent en charge. Si les jeunes d’Hayableh paraissent encore loin de trouver toutes les solutions à leur problème, ils ont avancé à grands pas » Un jour, dans quelques mois, ces jeunes réaliseront des RAP sans le soutien de personne, A ce moment. nous aurons gagné.« 

Géry de Broqueville

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *