C’est depuis de nombreuses années que l’on parle de participation des populations locales à leur propre développement, et pourtant on reste sur sa faim quant à cette participation. L’on entendra de-ci, de-là que la participation est un leurre pour faire croire que les populations ont trouvé par elle-même des solutions à leurs problèmes. N’y a-t-il pas une malhonnêteté intellectuelle de la part des dirigeants que de faire croire qu’il y a « participation » alors qu’il n’y a que dirigisme ? Nous allons voir en quoi l’institution même participe à la non-participation des bénéficiaires.

Quatre entités fondamentales entrent en ligne de compte dans la participation :

1- La population. Ce terme «population» est certes fort vague. On pourra utiliser d’autres termes comme les «bénéficiaires», mais n’est-ce pas déjà donner une connotation d’assistanat que de considérer un groupe comme bénéficiant d’une aide de quelque nature que ce soit ? Il est vrai que ce terme est très vague. Il y a tant de différences et de réalités vécues entre un groupe d’enfants, de jeunes, de femmes ou de vieillards dont on ne peut généraliser l’entité à un mot. Autant garder l’idée de préciser un tant soit peu d’autant que l’on travaille toujours avec un groupe.

2- L’environnement dans lequel le groupe vit. On oublie beaucoup trop cette composante fondamentale qui détermine même l’existence d’un groupe. Un groupe n’existe que parce que l’environnement est propice à la création de ce groupe. Cet environnement est une rue, un quartier, un village. A y voir de plus près, le groupe compose avec son environnement pour sa survie. On ne peut se passer de cette connaissance des alentours pour connaître le groupe.

3- L’animateur qui travaille avec les populations pour une institution. Une institution qui désire travailler avec un groupe de personnes le fait à travers un animateur, un travailleur social, etc. L’animateur est le représentant direct de l’association et va devoir travailler avec le groupe en fonction de ses intérêts c’est-à-dire ceux de l’institution.

4- L’institution est celle qui va trouver les moyens humains, matériel et financier pour la mise en œuvre d’un projet qui, théoriquement, aura été déterminé par le groupe.

Le développement d’une action (d’un projet) dépend de la qualité des relations entre chacune des entités. Malheureusement, l’institution est parfois tellement loin de la réalité du terrain qu’elle va jusqu’à marginaliser le travail de l’animateur qu’elle emploie d’ailleurs. Quelques exemples « ressentis » énoncés par des animateurs lors d’une session de formation pour des animateurs travaillant avec des enfants en situation difficile.

– Les problèmes des enfants ne trouvent pas de résolution à temps souhaité de la part de l’institution suite à sa lourdeur bureaucratique.

– Augmentation du nombre d’enfants dans la rue par rapport à la capacité d’accueil des institutions principalement en milieux fermés.

– Dans la planification des actions en faveur des enfants, l’institution ne prend pas compte des options prises par l’enfant dans son environnement.

– Les institutions abandonnent les animateurs à eux-mêmes et ne leur apportent aucun soutien pédagogique.

– Pour certaines institutions, la signature d’un code de bonne conduite conçu unilatéralement par l’institution selon des critères non maîtrisables par l’enfant, oblige ce dernier à quitter le centre.

L’institution est-elle le grand méchant loup ?

En situant l’institution comme celle qui finance un projet, on la place de manière indéniable comme celle qui possède un pouvoir. Certaines institutions en sont bien conscientes et vont d’ailleurs utiliser ce pouvoir pour se positionner au mieux dans tel lieu ou vis-à-vis de tel organisme subsidiant. L’institution qui travaille avec un groupe en situation difficile aura tendance à imposer sa vision des choses, ses analyses et surtout les solutions qu’elle désire apporter aux problèmes posés par le groupe.

L’institution réagit ainsi parce que la demande des groupes ne correspond pas à ses intérêts propres et surtout à ses bailleurs de fonds. Il est courant d’ailleurs que les institutions vont jusqu’à proposer des solutions « à tout prix » pour plaire à tel organisme des Nations unies ou de la Communauté européenne. Et si ces derniers décident que l’année « x », les institutions devront travailler sur le thème « y », tout le monde va commencer à remplir des dossiers en vue de recevoir une part de la manne publique, en laissant tomber des actions, qui hier encore étaient porteuses de sens.

Oui, l’institution est le grand méchant loup face à des groupes en situation difficile qui n’ont aucune parcelle de pouvoir si ce n’est d’avoir le courage de dire « non » à une proposition qui ne correspond en rien à leurs problèmes fondamentaux.

Et quand une institution utilise des méthodes que l’on fait passer pour des méthodes participatives, la manipulation est parfois plus grave encore. Il n’est pas rare de voir un animateur qui utilise la MARP, par exemple, de manipuler le groupe qu’il a devant lui, pour faire coïncider « leurs » demandes avec la spécialité de l’institution. Dernièrement, un responsable d’ONG qui utilise la méthode PIPO me disait que si le groupe oriente sa solution à son problème dans un sens qui ne plaît pas à son organisme, il faisait comprendre au groupe que dans ces conditions-là il ne pourrait pas soutenir leur demande. L’animateur était partagé entre la démarche du groupe qu’il sent intuitivement comme valable et les intérêts de l’institution qui l’emploie. Il est évident que l’animateur ne peut se mettre à dos son employeur. De ce fait il est coincé entre deux logiques et choisira celle qui correspond à son intérêt.

Or pour qu’une méthode participative puisse fonctionner réellement, le résultat ne doit pas être connu, ni du groupe, ni de l’institution, ni de l’animateur qui initie la démarche. L’action qui devrait résulter d’une démarche participative n’est jamais pensée en fonction de l’intérêt des uns ou des autres si ce n’est celle du groupe. L’institution se doit d’être complètement au service du groupe et non l’inverse. Elle doit rester disponible aux sollicitations, ce qui lui impose de ne pas se positionner en tant qu’expert dans tels domaines. Par définition, une institution n’est experte en rien et doit accepter de n’être qu’organisme ressource au moment de la réalisation de l’action.

Pour cela, l’institution doit adopter un profil plus humble et accepter que c’est le groupe qui travaille à sa place, qui analyse les données récoltées, qui formule l’action. L’institution doit accepter l’action du groupe et si d’aventure, elle n’est pas du tout compétente en la matière, elle se doit de le dire et d’orienter les recherches vers un autre organisme compétent. Jamais, l’institution ne peut manipuler le groupe en fonction de ses intérêts propres comme les financements et autres manières de se positionner sur le dos du groupe.

Que reste-t-il de l’animateur ?

Apparemment rien ! Disparu, volatilisé ? En réalité, il lui reste beaucoup s’il a bien compris sa position face à la participation. Il est facilitateur d’une démarche d’autant qu’il se trouve face à un groupe qui a très certainement eu déjà affaire à des organismes qui leur ont déjà promis monts et merveilles. L’animateur se trouve aussi dans une position où il n’intervient en rien dans l’analyse, il ne charge d’aucune vérité les réponses fournies par le groupe. C’est le groupe qui doit chercher dans son environnement de vie les solutions à ses problèmes. L’animateur ne fait que faciliter la prise de conscience du groupe de ses capacités à gérer ses propres problèmes au travers de son vécu. Les solutions ne viennent pas de l’animateur ou de l’institution, elles sont déjà ancrées dans la réalité du groupe, dans son environnement. L’animateur est lui aussi une personne-ressource choisie par le groupe.

Géry de Broqueville.

Note : Article paru dans Passerelles n°46 – septembre 2004

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