La méthode de recherche-action participative « Je participe, tu facilites » peut-elle lutter contre les radicalismes ? A l’heure des attentats vécus par la Belgique hier, par la Côte-d’Ivoire, le Mali, la France et en d’autres lieux tout récemment, on pourrait se demander s’il est possible de lutter contre la radicalisation des jeunes avec notre méthode. La tâche semblerait ardue si l’on calcule le nombre d’attentat déjà revendiqué par Daesh, depuis sa création en 2013. La « Global terrorisme data base » tenue par l’Université du Maryland et Wikipédia, ont déjà répertorié que Daesh est à l’origine de 1681 attentats ayant causé la mort de plus de 12.500 personnes et en blessant 13.636 autres 1. Cela suppose qu’il y a au moins 1681 personnes qui n’ont pas hésité une seconde à faire exploser une ceinture d’explosifs, notamment.

Selon Farhad Khosrokhavar, directeur d’études au EHESS 2, « les aspirants djihadistes sont des jeunes exclus qui ont intériorisé la haine de la société et se victimisent. Ils pensent ne pas avoir d’avenir dans le modèle dominant « travail, famille, insertion dans la société ». L’adhésion à l’islam radical est un moyen pour eux de sacraliser leur haine, de la légitimer et de justifier leur agressivité. Ils ont quelques caractéristiques communes : vie d’exclusion dans les banlieues, déviance, emprisonnement, récidive, adhésion à une version radicale de l’islam, voyage initiatique en Afghanistan, au Pakistan, au Yémen ou en Syrie, et enfin la volonté de rupture avec la société au nom de la guerre sainte ». 3

Des jeunes issus du milieu des classes moyennes qui ne sont pas dans un processus d’exclusion et qui vivent dans une société bien cadrée qui n’éprouve pas de haine envers cette dernière, sont candidats à rejoindre les rangs de Daesh. Généralement, il veulent venir en aide à leurs frères en religion et sont animés par une sorte de romantisme naïf. Ils sont un peu comme ces jeunes partis combattre le franquisme dans les années 30. Ils partent au combat par idéal. « Leur engagement correspond à une sorte de mise à l’épreuve de soi, un rite de passage à la vie adulte pour post-adolescents, notamment chez les jeunes filles et les convertis » 4 Jusqu’à ce jour ces jeunes ne font pas parties de ceux qui projettent des attentats en Europe.

La radicalisation est une forme d’espérance de reconnaissance. Ayant le sentiment de ne compter pour personne, ces jeunes veulent passer de leur inexistence vers la lumière. Ils veulent devenir des héros dont on parle. Alors que la société les jugeait comme des moins que rien, leur destin bascule et ils ont le sentiment de prendre le pouvoir sur ceux qui les écrasaient. Ils deviennent les maîtres non seulement de leur destin mais de ceux des autres. Ils découvrent le pouvoir de vie et de mort. C’est un sentiment très grisant que d’avoir ce pouvoir même s’il faut observer des règles strictes où la société du califat codifie le moindre geste, le mariage, la stricte observation des règles du Coran. La soumission à Dieu remplace l’autorité parentale qui de toute façon était en déliquescence à l’image de la société.

No Future

René Sibomana se souviendra certainement d’une session de formation co-animée par lui et moi-même, en décembre 1996, à Djibouti pour des animateurs que nous voulions transformer en facilitateur de la méthode « Je participe, tu facilite » 5. Un des groupes témoins avait pour nom « Naughty by nature » qui était composé notamment de jeunes déscolarisés. Ces jeunes ont constitué un groupe de rap pour lutter contre la drogue et la violence. Beaucoup d’obstacles se mettaient sur leur route au point où ces jeunes avaient exprimé leur désespoir face à la vie : « no future » était presque le leitmotiv de ces jeunes incompris par leurs familles, les autorités, les ONG. Le seul moment de démarche soutenante était justement ce moment de suivi par des animateurs en formation.

Le regret a été que nous étions dans une session de formation. Dans ce type d’exercice, l’on ne va pas jusqu’à l’action avec le groupe suivi vu que personne ne peut assurer un suivi post-formation. Nous avons donc laissé les jeunes avec le « no future ». Ce qui est regrettable 6. Bien sûr à ce moment-là on ne parlait pas de radicalisation mais tous les ingrédients étaient réunis pour que ces jeunes fassent un faux pas.

Ce problème de mal-être est vécu par beaucoup de jeunes partout dans le monde et cela ira en s’accentuant d’année en année. Un jeune bruxellois de 15 ans raconte comment il a failli partir en Syrie pour combattre aux côtés de Daesh. Tout est parti d’un mal-vivre ou d’un mal-être. Pour écouter ce témoignage, cliquez ici.

Ce sentiment de ne pas valoir grand-chose est accentué aussi par l’Etat. Il semblerait qu’un jeune bruxellois d’origine immigrée se fasse contrôler au moins une fois par semaine, en moyenne, à Bruxelles, par la police. A Paris, la moyenne est plus élevée, selon des rapports des assistants sociaux, le contrôle pour « délit de sale gueule » est en moyenne d’une fois par jour dès 13 ans environ jusque 25 ans. « Les conséquences sont dramatiques parce qu’elles sont de l’ordre de l’intime et de l’émotionnel puisqu’ils sont vécus comme une véritable humiliation. Ces contrôles se font la plupart du temps dans des lieux publics, dans les zones d’habitation et de fréquentation des victimes et renvoient d’eux une image délicate. Ensuite, c’est pour notre société que ces pratiques ont des conséquences ravageuses. Elles coupent les victimes du reste de la société. Celles-ci ne peuvent se sentir être des Français à part entière alors qu’elles sont stigmatisées et discriminées. Comment créer, sur ces fondements, une communauté nationale ?. 7

Seule la valorisation des capacités…

Il est donc peut-être temps de réfléchir à utiliser notre méthode pour un travail de suppression de toute forme de radicalisation. Un jeune qui met en place un projet qui  concerne son avenir ne peut que devenir fier de son acte. Si « La radicalisation est une forme d’espérance de reconnaissance » (voir ci-dessus) Il faut continuer, sans arrêt, à travailler avec des jeunes de chacun de nos pays qui pourraient déraper vers plus d’extrémisme.

Si les jeunes se sentent incompris, rejetés, subissent des discriminations sans cesse avec le délit de sale gueule à la clé, n’est-il pas temps d’utiliser notre méthode comme appui pour contrer ce mal-être ? Dans le guide méthodologique, à la page 61, nous avons relevé les impacts de la méthode : « Au niveau des acteurs, des enfants et des jeunes, la recherche-action libère la parole, révèle une bonne maitrise de la cartographie sociale, éveille les consciences. Elle est démocratique. Au niveau des groupes, la RAP induit l’autonomie, l’autogestion, l’interaction avec d’autres organisations sociales. » 8 Incontestablement, La participation induit un autre comportement qui est de l’ordre de la valorisation des capacités de la personne. La méthode que nous utilisons peut être un des moyens pour permettre à des jeunes de revenir vers la lumière. Alors utilisons-là pour cela aussi.

Géry de Broqueville

  1. Chiffres arrêtés au 25 novembre 2015/ Source Le Soir ↩︎
  2. EHESS : École des hautes études en sciences sociales, basée à Paris. ↩︎
  3. Voir l’article complet en cliquant ici. ↩︎
  4. Ibid. ↩︎
  5. Pour lire la session de formation de Djibouti en 1996, cliquez ici. ↩︎
  6. La Libre Belgique, 25 juin 2015. Cliquez ici. ↩︎
  7. Cela me fait penser que lors d’une session de formation, il est important d’aller jusqu’au bout avec les groupes qui se prêtent au jeu de la participation pour former les animateurs. Le fait de n’avoir rien soutenu de ce coté là a certainement rajouté une frustration supplémentaire au groupe « Naughty by Nature », même si ce dernier a été prévenu qu’on allait pas aller jusqu’au bout. Il faudrait réfléchir à notre responsabilité de lancer une recherche-action qui n’aboutit à rien. ↩︎
  8. Cette question des impacts avait été reprise dans le document final de la rencontre de Grand-Bassam 2007. ↩︎

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