Dans le précédent article, nous avons cherché des critères de participation. Il est temps d’essayer de donner un aperçu de ces méthodologies utilisées par les grandes ONG et la coopération technique belge comme la MARP (abordée sous deux angles : le RRA et le PRA) et la PIPO. Nous rajouterons une méthode créée en Afrique, la RAP. La MARP

La MARP (en français : méthode accélérée de recherche et de planification) date des années 70 et a été lancée par Robert Chambers sous la forme d’une RRA (Rapid rural appraisal) en vue de comprendre la réalité du développement et pour aborder de manière plus complète les complexités des sociétés rurales. La tendance RRA de la MARP se caractérise par une approche appliquée globale et flexible d’apprentissage progressif, avec la participation de la communauté au processus de collecte, d’analyse et de planification sur la base des résultats.

La décennie 90 va se singulariser avec une kyrielle d’écoles et de courants de pensée se réclamant chacun d’une spécificité du point de vue de la démarche MARP/RRA. Cette recherche aboutira à la méthode du « diagnostic participatif », plus connu sous le terme « Participatory Rural Appraisal » (PRA). Ce terme « PRA » naît suite à un débat sur les controverses que soulèvent les concepts de « Rapid » en anglais et d’ « accélérée » dans sa version francophone. La MARP/PRA est marquée par le changement d’une lettre : du RRA (rapid rural appraisal), on passe au PRA (participatory rural appraisal).

Cette différence se marque aussi dans le mot francophone : le terme MARP, de « méthode accélérée de recherche et de planification», se voit maintenant modifié en « Méthode active de recherche de planification participative ». Ces années vont permettre à la MARP de s’étendre dans d’autres domaines d’étude que le monde rural comme ceux « de l’urbain, de la nutrition, de la démographie, de la santé, de l’hydraulique, de l’anthropologie sociale urbaine, de l’ingénierie, des études d’impact, des études de marché, des nouvelles technologies de l’information et de la communication, et ce dans une dynamique intégrative alliant l’évaluation, le monitoring, la planification, le suivi, la diffusion des technologies, la recherche-action, etc. 1

PIPO La planification des interventions par objectifs (PIPO) est née suite à un constat global d’échec des interventions de coopération au développement. Pour pallier les lacunes des méthodes précédentes, les théoriciens et praticiens ont conclu que les interventions étaient insuffisamment systématiques. Il manquait une «méthodologie scientifique et standardisée ». Sur une ligne du temps, cette réflexion se placerait en parallèle à la MARP. Ceci amena l’USAID (coopération officielle des USA) à créer en 1970 le cadre logique qui fut combiné dans les années 80 à des techniques de communication et de participation élaborées par la GTZ (coopération allemande). Le résultat fut la méthode ZOPP (Ziel Orientierte Project Planung) que l’AGCD a traduit en 1989 par «Planification des Interventions Par Objectifs ». 2

La RAP La Recherche action participative (RAP) a été mise au point entre les années 90 et 94 par une quinzaine d’animateurs africains réunis par ENDA-Jeunesse Action pour mettre en œuvre une approche participative novatrice qui correspond mieux à leurs pratiques de terrain. Dès 1993, c’est l’association « Action jeunesse environnement » (Sénégal) qui a continué cette méthode en la développant et en l’ajustant au fil de ses expériences. Aje et asmae publie le guide méthodologique de la Rap en 2003. 3

Description des méthodes dites participatives Le tableau suivant permet une lecture rapide et une comparai-son détaillée du fonctionnement des quatre méthodes participatives en 10 étapes. 4

Et dans la réalité ?

Dans le cas de la MARP/RRA, les praticiens du Nord ne respectent en aucun cas la volonté de la population et l’on peut conclure que la participation est tuée dès les prémices de la MARP/RRA. Aucun des dix points du mode opératoire ne satisfait aux exigences de notre définition. Aucun groupe n’est identifié au départ, l’expert choisit à son gré les personnes qui le composeront, ce qui explique aussi pourquoi le groupe est composé d’experts (qui influenceront le contenu).

La collecte d’informations est rapide, ensuite les experts vont « analyser et évaluer sur place et rapidement ». Cependant cela ne suffira souvent pas et les experts devront « poursuivre l’analyse après le terrain ». L’analyse et la planification sont donc faites par les experts dans un bureau, la population n’a rien à dire. MARP/PRA : Les experts, en annonçant l’arrivée du projet à la population, se présentent comme des sauveurs.

Ceci permet d’ailleurs de faire le lien avec le Triangle diabolique de Philippe De Leener : «Tant que l’on est dans la logique de la séparation (riche/pauvre, j’apporte mon aide/tu es aidé), on est dans un système classique qui se représente par le triangle dramatique : bourreau, victime, sauveur. Dès qu’on n’est pas dans un système où on travaille tous ensemble, on bascule rapidement dans ce triangle. On se trouve un méchant, et le sauveur joue son rôle avec toutes les perversions possibles ». 5

La présence des développeurs ne se justifie que par la réalisation d’un projet : ils sont là pour cela et quoi qu’il arrive, ils trouveront une solution. Et Christophe Brismé travaillant à Aquadev nous dévoile que cette collecte d’information est sujette « au regard du bailleur de fonds » 6, qui par sa présence et son importance au vu du projet ne peut qu’influencer la participation des populations.

Kevin Adomayakpor rajoute une étape fatale pour la participation qui ne se trouvent pas dans les manuels : « les objectifs de l’action vont être envoyés à l’ONG et réanalysées par rapport aux objectifs de l’institution. (…) De nouveau, ce sont des experts ou des gens de la capitale qui viennent suite à l’étude avec la population et qui retravaillent les informations en cherchant une action ». 7

PIPO Comme dans le PRA, les experts « débarquent » et annoncent la venue d’un projet : le triangle fatal est répété. « Messieurs, nous venons avec de l’argent, nous venons résoudre un problème de santé dans la région et l’on vient vous apporter de l’aide là où vous croyez qu’il y a des priorités : ça peut être au niveau des bâtiments, de la formation, … Débattez entre vous et dites-nous ! » 8

Si la collecte d’information est participative, la suite ne l’est plus du tout. Bien des fois d’ailleurs, les experts se contentent de prendre les informations et de les analyser dans leur coin sans même restituer aux populations le fruit de leurs réflexions ! Selon Philippe Jallet, la DGCD conseille vivement (oblige) les ONG à utiliser la méthode PIPO.

Cependant, force est de constater que si nous sommes arrivés à introduire l’approche participative en général et l’utilisation du cadre logique ; l’arbre à problèmes est encore très souvent « du PIPO en chambre ». C’est-à-dire que chacun (expert) fait son arbre dans sa petite chambre, en faisant d’abord son arbre à problèmes, puis son arbre à objectifs et crée enfin sa stratégie ». 9

La RAP Il est probable que c’est la démarche la plus participative qui existe à l’heure actuelle mais qui est utilisée par une minorité d’association, dont au moins une en Belgique. Cependant il faut émettre des réserves car l’importance de l’animateur est immense. Le fait qu’il lui soit demandé de se taire, de « mourir », est d’une grande exigence.

Philippe De Leener nous signale : «C’est une position difficile à garder. Posture difficile parce qu’il y a une question d’identité. L’identité, c’est la manière du «comment je crois que les autres me perçoivent et comment je m’inscris en tant que j’existe, en tant que je suis là, et que j’ai une raison d’être là». Je connais peu d’animateurs qui en sont capables». 10

Marc Flammang.  

Note : article paru dans Passerelles n°46 – septembre 2004.

  1. Aquadev, Les méthodes de diagnostic et de planification des actions de développement, Aquadev, s.l. 2001, p.10. ↩︎
  2. Collectif, Manuel pour l’application de la Participation des interventions par objectif, AGCD (Administration générale de la coopération au développement qui a été remplacé en 1995 par la DGCD), Bruxelles, 1991, p.10. ↩︎
  3. Adorata Uwizeyimana, Géry de Broqueville, René Sibomana, Je participe, tu facilites, guide méthodologique pour enfants et animateurs, asmae-Aje, Dakar, 1993. ↩︎
  4. Un arbre à problèmes est une représentation visuelle des liens de causalité des problèmes retenus lors d’un atelier participatif qui réunit les parties prenantes et principalement les bénéficiaires ou leur porte-voix. ↩︎
  5. Selon Philippe De Leener, interview réalisée le 4-05-2004. ↩︎
  6. Selon Christophe Brismé, interview réalisée le 19-03-2004. ↩︎
  7. Selon Kevin Adomayakpor, interview réalisée le 22-03-2004 ↩︎
  8. Selon Olivier Cogels, interview réalisée le 2-04-2004 ↩︎
  9. Selon Philippe Jallet, interview réalisée le 22-04-2004. ↩︎
  10. Selon Philippe De Leener, interview réalisée le 4-05-2004. ↩︎

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