Depuis 1990, on assiste à un discours dominant dans le monde de la coopération au développement y compris auprès des institutions financières internationales (Banque Mondiale, FMI) basé sur « la participation, l’empowerment, le partenariat ». Comme si un virage à 180° se produit et que finalement les aspirations des peuples sont écoutées. On découvre que la terre compte encore, après plus de cinquante ans de politiques de développement, près de deux milliards d’individus vivant avec moins d’un dollar par jour. La pauvreté redevient le centre de la problématique du développement et pour y remédier, les acteurs doivent participer activement à l’amélioration de leurs conditions de vie. Qu’est ce que ce discours de la participation représente en fait ? Comment se vit la participation dans les stratégies de lutte contre la pauvreté en Afrique subsaharienne ?
Après plus de cinquante ans, de stratégie de développement, le monde de la coopération découvre les paradigmes de la participation. Faisant le bilan de ces années d’ajustements structurels basées sur les stratégies de croissance économique, la stabilisation de l’économie et un retrait de l’Etat qui évite de réguler l’économie, la pauvreté s’est accentuée dans le monde. A la fin des années 80, le communisme ayant perdu, les libéraux ont le vent en poupe. Ainsi, pour relancer l’économie mondiale, les Etats-Unis et l’Angleterre dirigés respectivement par Reagan et Tchatcher incitent les institutions financières internationales à adopter et appliquer « le consensus de Washington ». « Le Consensus de Washington » a ordonné « une discipline budgétaire (la passion pour l’élimination du déficit), une réforme fiscale (profitant à ceux qui possèdent le plus), une libéralisation commerciale (démantèlement des droits de douane des pays moins développés sans contrepartie de la part des pays riches), l’ouverture aux investissements étrangers (sans normes ni contrôles), des privatisations (le patrimoine public à la portée des puissants), des déréglementations (diminution ou suppression des garanties de travail, contrôles sociaux et environnementaux), la garantie absolue du droit de propriété et le maintien ou l’installation de gouvernements de moindre poids (excepté dans leur facette policière)». En Afrique subsaharienne, on parle de politiques d’ajustements structurels qui limitent tous les budgets des secteurs non productifs tels que la santé et l’éducation, la privatisation des secteurs productifs : l’eau, la télécommunication, les transports… De telles conditions qui ont vite fait de paupériser les populations et de rendre fragile la stabilité sociopolitique et de dénaturer le rôle des Etats. Une élite corrompue s’acharne avec des investisseurs étrangers à piller les ressources locales et faciliter l’intégration au marché mondial des richesses.
A l’entrée du 3e millénaire, le bilan est plus que mitigé. Il y a plus de pauvres ! C’est à ce moment qu’intervient Joseph Stieglitz , ancien économiste à la Banque mondiale. En 1998, Il fait un mémorable discours à la CNUCED qui sera fondamental dans l’évolution des pensées des politiques de développement. Il se dit conscient que tout ce qui a été préconisé jusqu’alors en termes de politiques de développement a mis en place des pôles de croissance et d’accumulation. Ce qui n’a pas permis un changement global de la société. Les lois du marché ne peuvent en elles mêmes transformer la société.
La banque mondiale lance également en 2000 un rapport « Combattre la pauvreté » et qui en auditant ses stratégies découvre que les politiques définies à l’extérieur des populations aboutissent à des échecs à cause des barrières aux changements. Comment alors faciliter le changement et l’intégration dans l’économie mondiale des pays pauvres avec l’accord de leurs populations ? Voilà comment se formule en fait la problématique de ces institutions internationales. Il faut développer des mécanismes de participation : un consensus autour des moyens, des buts, des activités… Les populations doivent participer à toutes les étapes et cela va réduire les risques de déstabilisation sociale et politique et renforcer l’efficacité des politiques mises en œuvre. Etant des acteurs bénéficiaires, ils pourront mieux s’impliquer dans la réalisation des objectifs visés. D’où le discours « donner la voix aux pauvres ».
C’est dans ce contexte, que vont apparaître les DSRP (Document Stratégique de Réduction de la Pauvreté) avec pour objectifs que l’allègement de la dette profite de manière prioritaire aux pauvres. Aussi le besoin de rationaliser la coopération au développement, la promotion d’un processus d’appropriation au niveau local et national de la définition, l’exécution et l’évaluation des politiques définies avec tous les acteurs (Etat, société civile, secteur privé…), le choix d’une approche intégrée et multisectorielle (santé, éducation, économie…) sur le long terme et axé sur des résultats à atteindre. Ceci pour dégager un vison claire et consensuelle du développement que veulent atteindre ces pays.
La réalité de la participation dans les stratégies de lutte contre la pauvreté en Afrique subsaharienne?
Il convient de remarquer que bon nombre de pays d’Afrique subsaharienne ont élaboré leurs DSRP. Il se dégage à présent une vision claire des objectifs et résultats à atteindre dans le cadre de leur politique de développement. Et ceci a été fait dans un processus ouvert à d’autres acteurs qui ont été associés, notamment les organisations de la société civile. De nouveaux espaces domestiques de concertations, de consultations, de dialogues sociaux sont nés et permettent aux citoyens de s’exprimer sur les politiques mises en œuvre. Ce qui renforce la participation des acteurs et le rôle des organisations de la société civile.
Le choix d’une politique intégrée et multisectorielle est également un atout considérable et un changement de cap par rapport aux précédentes politiques sectorielles qui n’avaient pas d’articulations entre elles.
Néanmoins, force est de constater que le discours de la participation a été en réalité tronqué. Prenant en compte les nombreuses critiques sur leurs approches, la Banque Mondiale et le FMI vont lancer ce paradigme mais sans véritablement faire en sorte que le socle idéologique, le cercle vertueux du développement qu’ils préconisent (stabilisation- libéralisation – intégration- croissance- réduction de la pauvreté) soit remis en cause. Leur rôle est toujours dominant dans la définition des politiques car ils ont un droit de veto. Beaucoup de pays ont revu leur copie de DSRP suite aux injonctions des institutions financières internationales. Ce processus participatif lancé depuis 2000 est imposé sous formes de conditionnalités par les bailleurs de fonds.
Une analyse des différents processus de DSRP montre largement que l’accélération ou la stabilisation de la croissance demeure la priorité pour tous ces pays. En lisant les objectifs, c’est la même constante libérale qui est calquée comme si les pays ont fait de l’autocensure par rapport à leurs objectifs de développement pour s’aligner sur ceux des bailleurs de fonds.
Tous ces DSRP n’ont pas donné une priorité au processus de la participation. Les plans ont été bouclés en moins d’un an, un délai assez réduit compte tenu des enjeux. Et la participation a été sélective tant dans l’accès aux informations, que dans les acteurs associés et par rapport aux processus. En effet, les documents ont été élaborés par les techniciens des ministères en français et en anglais et orientés vers des choix préalablement définis : une logique d’intégration au marché mondial. Il n’y a pas eu de débat de fonds sur le projet de société à construire, ni de remise en cause des rapports de force. Et aussi, les informations sur l’ensemble du pays et la définition d’un tel document demande une certaine capacité que les organisations associées n’ont pas. Ce sont les organisations présentes à la capitale et accessibles aux organisateurs qui ont participé. Et fondamentalement, il ne s’agit que d’une consultation sur les moyens et les résultats, et non une participation véritable à tout le processus : de l’identification à l’évaluation.
En vérité, ces politiques de participations à travers ces cadres ne sont que des motifs de réaménagement des pouvoirs locaux afin d’assurer l’adhésion de l’élite locale aux processus d’intégration aux normes de l’économie mondialisée, de faire émerger de nouveaux acteurs collectifs, des alliances stratégiques. Une offensive de mobilisation des sociétés locales pour les persuader de rejoindre les espaces publiques. En effet, Dans les années 80 et 90, face à l’insécurisation généralisée de leurs conditions de vie, et à la faiblesse de l’Etat, les pauvres des pays d’Afrique subsaharienne ont bâti une économie populaire basée sur la préservation du lien social et l’accumulation par grappes familiales dans tous les secteurs de la vie sociale économique et culturelle : tontines, coopératives d’épargnes ou de production, apprentissage sur le tas, restauration de rue, commerce à la sauvette, petits métiers de rue, artisanat, école communautaire, école coranique,… C’est ce qu’on a appelé le secteur informel, non formel. Des secteurs qui se sont développés en marge du projet de modernisation et d’intégration économique des pouvoirs publics et des bailleurs de fonds.
A travers ces nouveaux cadres participatifs prônés y compris chez certaines ONGS au nord, il s’agit de réorienter les logiques sociales et redistributives de ces masses populaires vers les logiques de marché. Récupérer toutes ces ressources informelles (l’exemple de la microfinance est très édifiante à ce sujet). Cette floraison de mutuelles d’épargnes et de crédits en Afrique visent à récupérer l’épargne monétaire locale et à formaliser les tontines qui se faisaient en dehors des structures bancaires et l’intégrer au marché mondial.
C’est cela le véritable enjeu des nouveaux paradigmes de développement basés sur la participation. Mais cela c’est aussi minimiser la « ruse » des acteurs populaires qui pendant des décennies ont fait miroiter au Nord, à l’occident de faire « leur projet ». Ils ne sont pas passifs mais développent des capacités autonomes de résistance, de sécurisation de leurs conditions de vie et de pratiques populaires qui échapperont toujours à « ceux qui sont assis derrière leurs bureaux depuis Washington, Paris, Bruxelles, Londres… ».
Le discours sur la participation demeure un leurre si l’on refuse d’entendre et de laisser les acteurs populaires définir leur politique de développement tels qu’ils le vivent et le perçoivent.
Kevin Adomayakpor.
(1) Objectifs premiers DSRP Burkina faso « accélerer la croissance…, maintenir la stabilité macroéconomique », pour le sénégal « doubler le revenu par tête d’ici à 2015 dans le cadre d’une croissance forte, équilibrée et mieux répartie ».
Note : Article paru dans Passerelles N°46 – septembre 2004.